Permis de construire : intérêt à agir… ou pas.

L’obtention d’un permis de construire délivré sur la base d’un document d’urbanisme (PLUIH pour TOULOUSE Métropole : Plan Local d’Urbanisme Intercommunal - Habitat d’avril 2019) par le Maire de la commune où est envisagée la future construction (immeuble, maison, bâtiment industriel, promotion immobilière, lotissement, etc.), est souvent source de contentieux (régit principalement par le code de l’urbanisme, le code de la construction, le code administratif et le code de justice administrative).

Il est fréquent en effet qu’un voisin, une personne privée (par exemple : un particulier, une entreprise ou un syndicat de copropriétaire), conteste  - sous réserve de respecter le délai de recours de deux mois prévu en la matière - le permis délivré à celui qui l’a obtenu en vue d’un projet de construction.

Reste qu’il doit pour se faire - en l’occurrence en demander l’annulation -  avoir un intérêt à agir.

Cet intérêt doit d’une part être direct et certain ; il peut, d’autre part, être de nature urbanistique, environnemental ou encore esthétique.

Sans envisager les recours abusifs (assez réguliers en zone urbaine densifiée où la contestation vise en fait à ralentir un projet pour tenter d’obtenir - via un protocole transactionnel évitant un procès administratif qui s’inscrit dans la durée… - une indemnisation financière de la part du promoteur ou lotisseur qui a travaillé et avancé en amont des fonds - Cabinet d’architecte, étude de sols, etc. - pour son futur chantier…), il n’est pas rare que des recours soient rejetés.

Effectivement, si en France le droit de propriété est « sacré » et « inviolable », cela ne signifie pas pour autant qu’il soit illimité, que les situations urbanistiques existantes demeurent figées.

Intervenant ici en matière de référé administratif, le Conseil d’Etat rappelle certains de ces points dans un arrêt récent du 18 mars 2019 (mentionné sur les tables du recueil Lebon) :

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble de suspendre l'exécution de l'arrêté du 18 septembre 2017 par lequel le maire de la commune de Montségur-sur-Lauzon a délivré un permis de construire à M. et Mme C..., ensemble la décision du 19 décembre 2017 rejetant son recours gracieux contre cet arrêté et d'ordonner la communication du règlement de la zone NC du plan d'occupation des sols de la commune. Par une ordonnance n° 1803552 du 6 juillet 2018, le juge des référés a suspendu l'exécution du permis de construire.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 20 juillet et 2 août 2018, la commune de Montségur-sur-Lauzon demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au titre des pouvoirs du juge des référés, de rejeter la demande de M. B...;

3°) de mettre à la charge de M. B...une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de la commune de Montségur-sur-Lauzon et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M.B....


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juge des référés du tribunal administratif de Grenoble que, le maire de la commune de Montségur-sur-Lauzon (Drôme) a délivré le 18 septembre 2017 à M. et Mme C...un permis de construire autorisant la transformation d'un ancien bâtiment agricole en maison d'habitation. M.B..., dont la propriété, comprenant une maison sur des terrains d'une superficie totale d'environ 2 hectares, est située à proximité, a formé contre ce permis un recours gracieux que le maire a rejeté le 19 décembre 2017. Il a demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation pour excès de pouvoir du permis et de la décision rejetant son recours gracieux. Il a également demandé, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de ces deux décisions. Par une ordonnance du 6 juillet 2018, contre laquelle la commune de Montségur-sur-Lauzon se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif a fait droit à cette demande en ce qui concerne le permis de construire.

2. L'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme prévoit que : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci.

3. Pour admettre que M. B...justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation du permis de construire délivré aux épouxC..., l'ordonnance attaquée, après avoir notamment constaté que la propriété du requérant, située dans un secteur demeuré à l'état naturel, est séparée de celle des bénéficiaires du permis par une parcelle longue de 67 mètres et que sa maison est distante d'environ 200 mètres de la maison d'habitation dont la construction est autorisée par ce permis, relève que les boisements présents sur les terrains en cause ne suffisent pas pour " occulter toute vue et tout bruit " entre le terrain d'assiette de la construction et la propriété du requérant et que celui-ci indique avoir acquis cette propriété en raison de l'absence de voisinage. En se fondant sur de tels éléments, qui n'étaient pas à eux seuls de nature à établir une atteinte directe aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien par M.B..., le juge des référés a commis une erreur de droit. L'ordonnance attaquée doit par suite être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, et de régler l'affaire au titre des pouvoirs du juge des référés.

5. Pour demander l'annulation du permis de construire qu'il attaque, M. B...fait valoir que ce permis a été signé par le maire au nom de la commune alors qu'il était délivré au nom de l'Etat en application de l'article L. 422-1 du code de l'urbanisme ; que l'article R. 431-21 du même code a été méconnu faute pour la demande de permis de construire d'avoir été accompagnée d'une demande de permis de démolir ; que l'article R. 431-10 du code de l'urbanisme a été méconnu faute pour le dossier de demande d'avoir compris deux documents photographiques permettant de situer le terrain respectivement dans l'environnement proche ; que le certificat d'urbanisme positif délivré le 23 mars 2017, d'une part, a été obtenu par fraude, d'autre part, n'a pas créé de droit à méconnaître, comme le fait le permis litigieux, les dispositions du règlement national d'urbanisme relatives à la sécurité et à la salubrité, s'agissant du caractère dangereux de l'accès au terrain, des risques d'incendie de forêt, et de l'insertion dans un périmètre de protection des eaux potables et minérales ; que le permis méconnaît la règle de constructibilité limitée résultant de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme ; que l'article L. 111-4 du même code est méconnu faute de desserte par les réseaux d'eau, d'électricité ou d'assainissement ; que la disposition du règlement de la zone NC du plan d'occupation des sols qui désigne le bâtiment présent sur le terrain d'assiette du projet comme présentant un intérêt architectural ou patrimonial est illégal au regard des dispositions de l'ancien article L. 123-3-1 du code de l'urbanisme dès lors que ce bâtiment est réduit à l'état de ruine ; que, dès lors, le permis délivré en application de cette disposition est lui-même illégal. Aucun de ces moyens n'apparaît propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire litigieux. Par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande tendant à la suspension de l'exécution de ce permis en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, celle-ci ne peut qu'être rejetée.

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Montségur-sur-Lauzon, qui n'est pas, tant dans l'instance devant le Conseil d'Etat que dans l'instance devant le juge des référés, la partie perdante, soit condamnée à verser à M. B...la somme qu'il demande à ce titre. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B...le versement, d'une part, à la commune de Montségur-sur-Lauzon et aux époux C...d'une somme de 1 000 euros chacun au titre de l'instance devant le juge des référés et, d'autre part, à la commune de Montségur-sur-Lauzon, une somme de 3 000 euros au titre de l'instance devant le Conseil d'Etat.


D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 6 juillet 2018 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le juge des référés est rejetée.

Article 3 : M. B...versera aux époux C...une somme de 1 000 euros et à la commune de Montségur-sur-Lauzon une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Montségur-sur-Lauzon, aux époux C...et à M. A...B....

Copie en sera adressée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

 

L’arrêt de la haute juridiction administrative, 5ième et 6ème chambre réunies, ci-dessus reproduit en intégralité est également consultable sur le site Légifrance sous le numéro de pourvoi : 422460.