Jurisprudence : Qu’en est-il juridiquement de l’agent commercial en immobilier, de ce collaborateur-négociateur de l’agence immobilière ou de la société de chasse immobilière ?

La Chambre commerciale financière et économique de la Cour de Cassation dans un arrêt extrêmement récent du 10 mai dernier rappelle, en référence à la combinaison des articles L. 134-1 du code de commerce, 4, alinéas 1 et 2, de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce et 9 du décret n°72-678 du 20 juillet 1972 fixant les conditions d'application de cette législation, que « le titulaire de la carte professionnelle prévue à l'article 3 de la loi précitée a la possibilité d’habiliter une personne à négocier, s’entremettre ou s'engager pour son compte, si celle-ci justifie de l'attestation visée à l'article 9 du décret précité ou si celle-ci est elle-même titulaire de la carte professionnelle et que le statut des agents commerciaux lui est alors applicable ».

Et de préciser que « l’application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l’activité est effectivement exercée ».

Nous mettons en lumière aujourd’hui cette jurisprudence tant le recours aux agents commerciaux s’avère monnaie courante dans le secteur de l’immobilier et que savoir à qui l’on s’adresse dans le cadre d’un projet de vente ou d’achat d’appartement ou de maison se révèle être important…

En effet, des agences immobilières - travaillant en franchise ou pas, indépendantes ou au contraire affiliées à un réseau - et des sociétés de mandataires recrutent à tour de bras du personnel pour multiplier leur chance d’obtenir des mandats de ventes et commercialiser ainsi un maximum de biens ; schéma que reproduit aussi désormais certaines sociétés de chasseurs immobiliers pour tenter de signer le plus grand nombre possible de mandats de recherche… alors même que dans cette seconde approche du marché immobilier, le service sur-mesure, particularisé, ne se prête guère à une logique commerciale quantitative de « rentrer de mandat » où il convient d’avoir et d’écouler du stock.

En toute hypothèse, dans les deux cas, la qualité n’est pas forcément au rendez-vous, ne peut que difficilement l’être.

Le défaut de suivi des personnes recrutées (souvent à distance du détenteur de la Carte T), leur manque de qualification et de formation, leur carence souvent criante en matière d’expérience, de possibilités de conseiller utilement, font de ces « agents immobiliers » au rabais ou « chasseurs immobiliers » trop novices des acteurs peu fiables pour mener à bien des projets d’envergure, souvent des projets de vie, impliquant des sommes financières très importantes.

Bien choisir le professionnel qui vous accompagnera - agent immo ou chasseur immo - s’avère la première étape pour, ensuite, bien vendre (au juste prix et dans un délai cohérent) ou bien acheter (au prix du marché, de façon sécure).

 
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

                                    AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


La Société générale immobilier patrimonial (SGIP), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Primaxia, a formé le pourvoi n° P 21-23.533 contre l'arrêt rendu le 30 septembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant à la société Bertrand-Demanes (BDM), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société générale immobilier patrimonial, de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société Bertrand-Demanes, et l'avis de Mme Texier, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, Michel-Amsellem, conseillers, Mme Comte, M. Regis, conseillers référendaires, Mme Texier, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 septembre 2021), la société Primaxia, devenue Société générale immobilier patrimonial (la société SGIP), qui commercialise des programmes immobiliers pour le compte de promoteurs, a conclu un partenariat avec les banques Société générale et Crédit du Nord par lequel celles-ci lui confiaient la mission de vendre une sélection de biens immobiliers à des clients qu'elles lui adressaient.

2. Le 31 octobre 2005, la société SGIP a confié à la société Bertrand-Demanes (la société BDM) un premier « mandat commercial » pour une durée d'une année, ensuite reconduit. Le 1er janvier 2013, elle lui a confié un second mandat, pour les clients adressés par la société Crédit du Nord.

3. En mars 2018, la société SGIP a informé la société BDM de sa décision de mettre unilatéralement fin à ces deux mandats. Cette résiliation a été confirmée par lettres recommandées du 20 avril suivant, avec prise d'effet respectivement les 31 octobre et 31 décembre 2018. La société BDM a alors sollicité l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce.

4. La société SGIP ayant contesté à la société BDM le bénéfice du statut d'agent commercial, celle-ci l'a assignée en paiement d'une indemnité compensatrice de fin de contrat.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société SGIP fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à dire que le statut d'agent commercial fixé par les articles L. 134-1 et suivants du code de commerce n'est pas applicable à la société BDM, de dire bien fondée la demande de cette dernière, de la condamner à lui verser l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce et de la condamner à payer la somme de 246 238,67 euros au titre de l'indemnité de rupture des contrats d'agent commercial, alors « que seules peuvent être habilitées, en vue de la négociation ou du démarchage par le titulaire d'une carte professionnelle d'agent immobilier, des personnes physiques ; que, partant, le statut des agents commerciaux n'est pas applicable à une personne morale exerçant une activité soumise à la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dite loi Hoguet, dans le cadre d'un mandat confié par le titulaire d'une carte professionnelle d'agent immobilier ; qu'en jugeant le contraire, pour en déduire que la rupture des mandats confiés par la SGIP à la société BDM ouvrait à cette dernière le droit de percevoir l'indemnité compensatrice prévue par le statut des agents commerciaux, la cour d'appel a violé l'article L. 134-12 du code de commerce, par fausse application, l'article L. 134-1 alinéa 2, par refus d'application, et les articles 4 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et 9 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, par fausse interprétation. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de la combinaison des articles L. 134-1 du code de commerce, 4, alinéas 1 et 2, de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce et 9 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 fixant les conditions d'application de cette loi que le titulaire de la carte professionnelle prévue à l'article 3 de la loi précitée a la possibilité d'habiliter une personne à négocier, s'entremettre ou s'engager pour son compte, si celle-ci justifie de l'attestation visée à l'article 9 du décret précité ou si celle-ci est elle-même titulaire de la carte professionnelle et que le statut des agents commerciaux lui est alors applicable.

7. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. La société SGIP fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'application du statut des agents commerciaux ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée ; qu'en énonçant que la volonté exprimée par les parties dans les contrats de mandats de soumettre leurs relations contractuelles aux dispositions du statut des agents commerciaux devait prévaloir sur le contenu même des prestations réalisées par la société BDM, de sorte qu'il était impossible de revenir sur la qualification de la relation contractuelle (en tant que contrat d'agent commercial), peu important que la mission effective de cette société ait ou non comporté la négociation et la prospection de la clientèle, la cour d'appel a violé les articles L. 134-1 et L. 134-12 du code de commerce, ensemble l'article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 134-1 du code de commerce :

9. Il résulte de ce texte que l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. L'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.

10. Pour juger que le contrat conclu entre les sociétés SGIP et BDM est un contrat d'agent commercial et condamner la société SGIP à payer à la société BDM une indemnité compensatrice de rupture, l'arrêt relève que les deux contrats de mandat litigieux ne font pas uniquement mention de l'application des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce mais font référence, à plusieurs reprises, au statut d'agent commercial, qu'ainsi il est précisé à l'article 1 que le mandataire s'engage à « communiquer dans le délai d'un mois suivant la conclusion du présent contrat, son immatriculation au registre spécial des agents commerciaux », qu'il est également indiqué en page 4 du contrat que le mandataire s'engage à faire figurer sur ses documents commerciaux « sa qualité d'agent commercial », et qu'il apparaît ainsi que les parties ont très clairement entendu conclure un contrat d'agent commercial soumis aux dispositions spécifiques du code de commerce. Il retient encore que les parties ont soumis la validité du contrat à la condition essentielle et déterminante que la société BDM soit immatriculée au registre spécial des agents commerciaux, à défaut de quoi le contrat serait résilié de plein droit, ce qui démontre leur volonté claire et non équivoque de faire application du statut d'agent commercial. Il retient également que rien n'interdisait aux parties de soumettre leurs relations aux dispositions plus favorables du statut des agents commerciaux, cette volonté clairement exprimée devant alors prévaloir sur le contenu même des prestations réalisées par la société BDM et qu'il est impossible de revenir sur la qualification par les parties de la relation contractuelle, peu important que la mission effective de la société BDM ait ou non comporté la négociation et la prospection de la clientèle.

11. En statuant ainsi, alors que l'application du statut d'agent commercial ne dépend pas de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

12. La société SGIP fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'application du statut des agents commerciaux ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée, lesquelles ne sauraient résulter des seules stipulations du contrat décrivant les missions confiées au mandataire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait retenir, pour qualifier les mandats confiés à la société BDM de contrats d'agent commercial, que celle-ci avait une mission de prospection de clientèle et un pouvoir de négociation des contrats de vente en se bornant à constater que cette mission et ce pouvoir ressortaient de l'article 2 du contrat, sans vérifier concrètement si la société BDM avait effectivement prospecté de la clientèle et négocié des contrats de vente, ce qui était contesté par la SGIP ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 134-1 et L. 134-12 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 134-1 du code de commerce :

13. Pour juger que le contrat conclu entre les sociétés SGIP et BDM est un contrat d'agent commercial et condamner la société SGIP à payer à la société BDM une indemnité compensatrice de rupture, l'arrêt retient encore que le contrat conclu comporte bien une mission de prospection de clientèle, ainsi que cela ressort de l'article 2 du contrat, et qu'en outre, cet article relatif à l'objet et aux conditions d'exercice du mandat prévoit expressément que « le mandant charge le mandataire de négocier pour son compte avec les clients qu'elle lui adressera la vente des programmes immobiliers qui lui est confiée », de sorte qu'au regard de cette disposition contractuelle claire et conforme à la lettre de l'article L. 134-1 du code de commerce, la société SGIP ne peut sérieusement soutenir que la société BDM n'avait pas le pouvoir de négocier les contrats de vente.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher les conditions de fait dans lesquelles la société BDM exerçait effectivement son activité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société Bertrand-Demanes aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Bertrand-Demanes et la condamne à payer à la Société générale immobilier patrimonial la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille vingt-trois.

Cour de cassation

Chambre commerciale

Audience publique du mercredi 17 mai 2023

Publié au bulletin Cassation

Mr Vigneau, président

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat(s)


Cet arrêt
n° 347 FS-B de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français est consultable sur le site gouvernemental Légifrance au numéro de pourvoi : 21-23.533.