Droit - Veille jurisprudentielle : L’offre d’achat au prix d’un bien immobilier par l’acquéreur n’empêche pas le propriétaire vendeur de se rétracter.

C’est ce que viennent de juger (le 11 mai dernier) les conseillers de la Cour de Cassation, précisant si besoin était que ledit vendeur - bien qu’ayant initialement accepté l’offre - n’avait pas commis de faute et, de bon droit, avait céder son bien à un autre acheteur.

La lettre d’intention d’achat de l’acquéreur débouté prévoyait qu’en cas d’acceptation de son offre une promesse de vente serait signée (précisant de façon classique les diverses modalités de la transaction, les conditions suspensives de financement, de droit de préemption, etc.), conduisant ensuite à la réitération de l’acte, à la signature de l’acte authentique (définitif) de vente.

Cet acquéreur n’ayant pas respecté le rendez-vous de signature prévu en l’Etude notariale, la partie venderesse décida de vendre son bien à un nouvel acheteur.

La contestation de ce choix - et jusqu’en cassation donc - par l’acquéreur initial, arguant que le vendeur ne pouvait se rétracter puisqu’il existait un engagement de sa part, un accord tant sur la chose que sur le prix, fut écarter par la plus haute juridiction française de l’ordre judiciaire.

Celle-ci retient en effet qu’une offre d’achat imprécise ne peut être assimilé à un contrat de vente parfait.

Une telle lettre d’intention d’achat relève en fait toujours de simples pourparlers, d’éléments de discussion, d’une logique encore de négociation potentielle.

Seul un acte sous seing privé - par nature précis, fixant dans le détail les conditions de la vente, figeant la décision commune des parties, leur accord mutuel - empêche le vendeur de se rétracter (l’acquéreur en revanche dispose d’un délai de 10 jours calendaires pour le faire à compter du lendemain de la première présentation de la lettre recommandée – aujourd’hui le plus souvent par voie électronique - notifiant la promesse de vente ou, le cas échéant, de sa remise en main propre).

Lequel le fait donc à bon droit puisque l’acquéreur (seulement potentiel donc au stade de l’offre) n’a pas cru bon devoir se présenter au rendez-vous de l’étude notariale pour acter dans une promesse de vente sa volonté précise, ni même fournir des explications au vendeur, lui donner des nouvelles quant à ses… intentions.

 

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023

1°/ M. [M] [O], domicilié [Adresse 1],

2°/ la société Adam'Invest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], ont formé le pourvoi n° Y 22-11.287 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme [I] [K], épouse [R], domiciliée [Adresse 3],

2°/ à Mme [N] [W], domiciliée [Adresse 6],

3°/ à la société Espace immobilier, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], dont le siège social était précédemment [Adresse 2], défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation. Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Delbano, conseiller doyen, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. [O] et de la société Adam'Invest, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [W], de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [R], après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Delbano, conseiller doyen rapporteur, M. Boyer, conseiller, et Mme Letourneur, greffier de chambre, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [O] et à la société Adam'Invest du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Espace immobilier.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 30 novembre 2021), Mmes [R] et [W] ont donné à l'agence Espace immobilier mandat de vendre un bien immobilier leur appartenant.

3. Le 9 décembre 2014, M. [O] a établi une lettre d'intention d'achat pour le prix de 424 000 euros, acceptée le même jour par les venderesses.

4. M. [O] ne s'est pas présenté aux deux rendez-vous fixés par le notaire des venderesses pour signer l'acte sous seing privé prévu dans la lettre du 9 décembre 2014.

5. Le 4 juin 2015, le bien a été vendu à des tiers pour le prix de 353 000 euros.

6. Se plaignant d'avoir été injustement évincés de cette opération qui devait leur permettre de construire des logements collectifs, M. [O] et la société Adam'Invest, dont il est le gérant, ont assigné Mmes [R] et [W] en indemnisation d'une perte de chance évaluée à la somme de 1 435 845 euros.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. M. [O] et la société Adam'Invest font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ qu'une vente est formée entre les parties dès lors que l'offre d'achat de la chose concernée à un certain prix est acceptée par son propriétaire ; que la cour d'appel a elle-même constaté qu'après avoir visité l'immeuble appartenant à mesdames [R] et [W], par l'intermédiaire de l'agent immobilier auquel ces dernières avaient confié un mandat exclusif, monsieur [O] avait, s'agissant de ce bien, « formulé une offre écrite d'achat pour un prix de 424 000 €, par lettre d'intention du 9 décembre 2014 qui a été acceptée le jour même par les propriétaires » , ce dont il résultait que la vente de cet immeuble était formée entre les parties dès le 9 décembre 2014 ; qu'en retenant néanmoins que la vente n'était pas encore formée à cette date, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1583 et 1589 du code civil, ensemble l'article 1101 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ qu'une vente est formée entre les parties dès lors qu'elles sont convenues de la chose et du prix, indépendamment du renvoi à un acte à établir postérieurement pour préciser les modalités de la vente et d'éventuelles conditions suspensives ; qu'en se fondant néanmoins, pour écarter l'existence d'une vente entre, d'une part, mesdames [R] et [W], d'autre part, monsieur [O], malgré l'acceptation par les premières de l'offre émise par le second dans sa lettre d'intention d'achat, sur la considération que cette lettre comportait la mention qu'en cas d'acceptation de l'offre, un acte sous seing privé serait établi pour préciser les modalités de la vente et des conditions suspensives, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif impropre à exclure l'existence de la vente litigieuse, a violé les textes précités ;

3°/ que la lettre d'intention d'achat susmentionnée, comportant l'offre émise le 9 décembre 2014 par monsieur [O] en faveur de la vente de l'immeuble appartenant à mesdames [R] et [W] au prix de 424 000 euros, avait été signée tant par l'acquéreur que par les venderesses ; que monsieur [O] avait, avant sa signature manuscrite, porté sur le document la mention « Bon pour achat au prix de 424 000 € agence comprise » et chacune des deux venderesses la mention, manuscrite, « Bon pour acceptation de la vente au prix de 424 000 € agence comprise », avant de signer également, chacune, ce document ; que si ladite lettre comportait aussi la mention selon laquelle la « vente si elle intervient aura lieux (sic) aux conditions ordinaires et de droit. En cas d'acceptation de la présente offre, un acte sous seing privé sera établi pour préciser toutes les modalités de la vente et l'ensemble des conditions suspensives particulières », il ressortait des termes clairs et précis de cette même lettre et, particulièrement, des mentions manuscrites des parties, que ces dernières n'avaient pas subordonné la formation de la vente à l'établissement d'un acte sous seing privé, et qu'un tel acte n'était envisagé que pour préciser de simples modalités de la vente et d'éventuelles conditions suspensives ; qu'en estimant qu'il résultait de la dernière mention précitée que la vente n'était pas encore formée à la date du 9 décembre 2014 et qu'elle devait être « consacrée » par un acte sous seing privé, la cour d'appel, qui a méconnu les termes clairs et précis de la lettre précitée, a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

4°/ que l'acceptation d'une offre, dont découle la formation d'un contrat, ne peut être regardée comme caduque par l'acceptant du fait du silence de l'offrant pendant un certain temps ; qu'en estimant néanmoins, pour débouter monsieur [O] de sa demande indemnitaire, que les venderesses avaient légitimement pu considérer, compte tenu du silence de monsieur [O] de janvier à juillet 2014, que l'acceptation de l'offre d'achat était caduque, la cour d'appel a violé l'article 1101 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel a relevé que la lettre d'intention d'achat stipulait qu'en cas d'acceptation de l'offre, un acte sous seing privé serait établi pour préciser toutes les modalités de la vente et l'ensemble des conditions suspensives particulières.

9. Elle a retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, du document du 9 décembre 2014, que son ambiguïté rendait nécessaire, que l'existence de la vente était subordonnée à la rédaction d'un acte sous seing privé.

10. Elle en a exactement déduit que l'acceptation, par Mmes [R] et [W], d'une offre d'achat pour le prix de 424 000 euros, qui était imprécise, ne constituait pas un contrat de vente parfait, mais relevait de pourparlers contractuels.

11. Ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que M. [O] ne s'était pas présenté aux deux rendez-vous de signature de l'acte prévus dans la lettre d'intention d'achat, qu'il ne s'était pas manifesté auprès du notaire ou de Mmes [R] et [W] pour rédiger un acte notarié et qu'il ne contestait pas avoir informé l'agence immobilière qu'il souhaitait faire une nouvelle offre pour le prix de 370 000 euros, la cour d'appel a pu en déduire, abstraction faite d'un motif surabondant relatif à la caducité de l'acceptation de l'offre, que Mmes [R] et [W] n'avaient pas commis de faute en remettant le bien en vente six mois plus tard et que la demande en paiement de dommages et intérêts de M. [O] devait être rejetée.

12. Le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [O] et la société Adam'Invest aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [O] et de la société Adam'Invest, condamne M. [O] à payer à Mme [R] la somme de 3 000 euros et condamne M. [O] et la société Adam'Invest, ensemble, à payer à Mme [W] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-trois.

Cour de cassation

Troisième Chambre civile

Audience publique du jeudi 11 mai 2023

Inédit - Non publié au bulletin

Mme Teiller, présidente

SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Lyon-Caen et Thiriez (avocats).

 
Cet arrêt n° 313 F-D de la Cour de Cassation peut être consulté sur le site gouvernemental Légifrance au numéro de pourvoi : Y 22-11.287