Le Conseil
constitutionnel a été saisi le 27 janvier 2011 par la Cour de cassation
(troisième chambre civile, arrêt n° 221 du 27 janvier 2011), dans les
conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question
prioritaire de constitutionnalité posée par M. Michel Z. et Mme Catherine J.,
relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de
l'article L. 112-16 du code de la construction et de l'habitation, qui prévoit :
« Les dommages causés aux occupants d'un
bâtiment
par des nuisances
dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou
aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de
construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte
authentique constatant l'aliénation ou la prise
de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant
dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions
législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans
les mêmes conditions. »
Voici la
décision n° 2011-116 QPC du 08 avril
2011 (M. Michel Z. et autre) rendue par les neufs sages du Palais
Royal :
« LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique
sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 11
février 2011 ;
Vu les observations produites pour les requérants par Me Caroline Lemeland,
avocat au barreau de Troyes, enregistrées le 24 février 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Lemeland, pour les requérants, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, ayant été entendu à l'audience publique du 22 mars 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant
qu'aux termes de l'article L. 112-16 du code de la construction et de l'habitation
: « Les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à
des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou
aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de
construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte
authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement
à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités
s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires
en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions » ;
2. Considérant que, selon les requérants, cette disposition exonère l'auteur de
nuisances dues à une activité agricole, industrielle, artisanale, commerciale
ou aéronautique de toute obligation de réparer le dommage causé par ces
nuisances aux personnes installées après que l'activité dont il s'agit a
commencé à être exercée et méconnaissent, dès lors, les articles 1er à 4 de la
Charte de l'environnement ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi
détermine les principes fondamentaux... du régime de la propriété, des droits
réels et des obligations civiles et commerciales » ainsi que « de la
préservation de l'environnement » ; qu'il est à tout moment loisible au
législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des
dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de
modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas
échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il
ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 4 de la Déclaration
de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à
autrui » ; qu'il résulte de ces dispositions qu'en principe, tout fait
quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute
duquel il est arrivé à le réparer ; que la faculté d'agir en responsabilité met
en œuvre cette exigence constitutionnelle ; que, toutefois, cette dernière ne
fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d'intérêt
général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée ;
qu'il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou
des limitations à condition qu'il n'en résulte une atteinte disproportionnée ni
aux droits des victimes d'actes fautifs ni au droit à un recours juridictionnel
effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que les articles 1er et 2 de la Charte de
l'environnement disposent : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement
équilibré et respectueux de la santé. ° Toute personne a le devoir de prendre
part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement » ; que le
respect des droits et devoirs énoncés en termes généraux par ces articles
s'impose non seulement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives
dans leur domaine de compétence respectif mais également à l'ensemble des
personnes ; qu'il résulte de ces dispositions que chacun est tenu à une
obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement qui
pourraient résulter de son activité ; qu'il est loisible au législateur de
définir les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être
engagée sur le fondement de la violation de cette obligation ; que, toutefois,
il ne saurait, dans l'exercice de cette compétence, restreindre le droit d'agir
en responsabilité dans des conditions qui en dénaturent la portée ;
6. Considérant, en troisième lieu, que les articles 3 et 4 de la Charte de
l'environnement disposent : « Toute personne doit, dans les conditions définies
par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à
l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.
° Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à
l'environnement, dans les conditions définies par la loi » ; qu'il incombe au
législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives
de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la
mise en œuvre de ces dispositions ;
7. Considérant que l'article L. 112-16 du code de la construction et de
l'habitation interdit à une personne s'estimant victime d'un trouble anormal de
voisinage d'engager, sur ce fondement, la responsabilité de l'auteur des
nuisances dues à une activité agricole, industrielle, artisanale, commerciale
ou aéronautique lorsque cette activité, antérieure à sa propre installation, a
été créée et se poursuit dans le respect des dispositions législatives ou
réglementaires en vigueur et, en particulier, de celles qui tendent à la
préservation et à la protection de l'environnement ; que cette même disposition
ne fait pas obstacle à une action en responsabilité fondée sur la faute ;
que, dans
ces conditions, l'article L. 112 16 du code de la construction et de
l'habitation ne méconnaît ni le principe de responsabilité ni les droits et
obligations qui résultent des articles 1er à 4 de la Charte de l'environnement
;
8. Considérant que la disposition contestée n'est contraire à aucun autre droit
ou liberté que la Constitution garantit,
D É C I D E :
Article 1er.° L'article L. 112-16 du code de la
construction et de l'habitation est conforme à la Constitution.
Article 2.° La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23 11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ».
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 avril 2011, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY
MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme
Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 8 avril 2011.
Journal Officiel du 9 avril 2011, p. 6361 (@ 89)